Fin août 2020. Retour de voyage et quarantaine obligatoire vécus dans la joie et la sérénité. Après quatre mois de solitude partagée avec mes chats, dans des espaces mental et temporel saturés de travail et de stress, j’ai retrouvé mes racines et ma force. Dans cette retraite salutaire, ma conviction s’est renforcée que nous survivrons moins bien à la crise si nous ne transformons pas radicalement certaines manières d’être, de penser et de faire. «Nous» pouvant être conçu comme l’ensemble de la société, je le limite ici à la communauté des arts, incluant les acteurs de sa sphère gouvernementale.
État des lieux
Soyons lucides, la reprise a beau ouvrir les perspectives d’une relance, il faudra des années pour nous relever de la crise qui nous frappe. Et si les fonds publics additionnels permettent de minimiser les dégâts en maintenant à flot la structure de l’écosystème des arts, les dysfonctionnements et les iniquités de ce dernier sont exposés au grand jour. Comment pourrions-nous encore y rester indifférents, accepter de contribuer à les perpétrer?
Plus possible pour nos ministres et nos bailleurs de fonds d’ignorer l’insuffisance de moyens pour dynamiser un secteur intrinsèquement précaire ni les désastreuses conséquences de la quasi absence de filet social pour les artistes et les travailleurs culturels. Plus possible de passer outre les disparités de financement entre les différentes disciplines artistiques et les impacts de cette réalité sur leurs écosystèmes respectifs. Plus possible pour les structures établies, même si elles sont en difficulté, de nier leurs privilèges en regard des nombreux organismes et de la horde d’artistes indépendants qui, sans aucune stabilité financière, se trouvent soumis à une compétition plus féroce que jamais pour l’obtention d’un appui financier.
Au-delà des incidences des mesures sanitaires sur les écritures artistiques et sur l’accès de la population aux arts, l’urgence n’est pas qu’économique, elle est structurelle. Les enjeux d’équité, d’inclusion, de qualité des relations professionnelles et de protection de l’environnement restent des priorités absolues. En matière d’éthique, il nous faut développer des codes communs pour nuire le moins possible à notre planète, à nos activités artistiques et à la santé physique et psychologique de nos travailleurs essentiels et de tous ceux et celles dont la charge mentale et de travail est particulièrement accrue par la crise.
Voir les arts autrement
Bien sûr, la phase de confinement a eu des effets positifs. Elle a donné le temps de remises en question bénéfiques, d’inventer de nouvelles façons de travailler, de créer et de faire exister l’art au cœur de la société. À ce titre, il est important que nos décideurs et nos bailleurs de fonds gardent à l’esprit que le numérique et les technologies ne sont pas les seules voies d’innovation et que la vente de billets et le nombre de tournées ne sont pas non plus les seules mesures de rayonnement. La simple présence des artistes dans la cité rend le monde meilleur, que ce soit sur une scène, dans la rue, à l’école, dans le secteur de la santé, des résidences pour personnes âgées, par des activités de médiation artistique ou culturelle ou autres.
Qui pourrait vivre sans contact avec au moins une des formes d’art existantes? Qui n’a pas souvenir d’au moins une expérience marquante, voire fondatrice, vécue grâce aux arts? Les arts sont plus qu’une source de divertissement et d’évasion. En élargissant les perspectives du quotidien, ils peuvent ouvrir à un autre regard sur soi et sur le monde. Ils sont ce qui fait de nous des êtres civilisés. De meilleurs humains dans une société plus éclairée, plus créative, plus dynamique. Faut-il encore faire la preuve de cette vérité? Malheureusement, oui.
En parallèle de l’argent public dégagé pour des opérations de promotion visant à augmenter la consommation et la fréquentation des arts, c’est d’une campagne nationale de valorisation des arts dont nous avons besoin. En plus de favoriser le développement personnel des citoyens, petits et grands, une telle campagne aurait des impacts économiques et sanitaires positifs comme de stimuler le regain d’une culture philanthropique défaillante ou de réduire les problèmes de santé mentale dans l’ensemble de la société. Nous avons tout à y gagner.
Le dialogue comme clef de la relance
Le temps d’arrêt imposé par la crise a aussi eu l’effet d’une mobilisation citoyenne sans précédent dans les réseaux sociaux. Plus solidaires et revendicateurs que jamais, artistes et travailleurs culturels ont œuvré en parallèle des associations et regroupements qui les représentent. Ils se sont notamment offerts de précieux espaces de rassemblement, de dialogue et de soutien aux travailleurs autonomes de toutes les disciplines artistiques. Dans le même temps, la parole s’est libérée un peu plus pour dénoncer les actes et les réalités découlant du racisme et du sexisme systémiques. Tout cela était nécessaire. Remercions ceux et celles qui se sont engagés activement dans ces mouvements-là, qui ont donné de leur matière grise et de leur temps, qui ont osé la prise de parole en public.
Nous avons besoin que cette formidable mobilisation perdure et d’une meilleure synergie entre ces groupes citoyens et les instances qui les représentent, telles que le RQD. Nous avons besoin de rendre nos réseaux plus forts pour ramer ensemble dans une même direction. Besoin, aussi, d’une plus grande transparence dans nos échanges – y compris avec les instances gouvernementales – pour trouver comment «sauver les meubles» tout en continuant d’œuvrer à tout changement systémique qui inscrive la relance du secteur dans une perspective de développement durable, d’équité et d’inclusion. Tout cela nous demandera, évidemment, patience et indulgence. Rome ne s’est pas faite en un jour.
Fabienne Cabado
Directrice générale du Regroupement québécois de la danse