Le fragile équilibre des écoles de danse en contexte de pandémie
Bien que certaines problématiques du continuum de formation en danse soient connues depuis longtemps, la pandémie de COVID-19 a mis en lumière des failles que l’on ne peut désormais plus ignorer. Les difficultés actuellement vécues par les écoles de danse, berceau du monde professionnel, risquent d’impacter une génération de danseurs et d’enseignants et de se faire ressentir dans l’ensemble du milieu.
Portrait de la situation.
Un système à deux vitesses
La filière de formation en danse telle que définie par le ministère de la Culture et des Communications (MCC) est composée à sa base d’une dizaine d’écoles de danse d’envergure locale, dispersées à travers le Québec. Ces écoles offrent des cours dans les genres classique et contemporain, les deux seuls genres de danse considérés dans cette filière par le ministère. À cela s’ajoutent les trois écoles supérieures qui offrent notamment la formation postsecondaire pouvant mener à une carrière en danse, toujours en ballet et en contemporain[1]. Toutes jouissent de la reconnaissance du MCC et sont subventionnées par le Programme d’aide au fonctionnement pour les organismes de formation en arts (PAFOFA).
Le Réseau d’enseignement de la danse (RED) gravite en parallèle de cette filière de formation en offrant des services, de la formation continue et de l’accompagnement aux écoles de danse et à leurs enseignants, en plus de les représenter auprès du gouvernement.
Alors que le RED recense plus de 430 écoles de danse au Québec, de divers genres et de diverses tailles, le pourcentage des écoles subventionnées et reconnues par le MCC demeure extrêmement faible, autour de 3%. Pourtant, les autres 97% d’écoles de danse du Québec contribuent aussi au développement de la danse sur le territoire et auprès d’une clientèle diversifiée, en ballet et en contemporain certes, mais dans bien d’autres genres de danse également, et alimentent le secteur professionnel en faisant naître des passions et en inspirant des carrières.
La danse, à la fois artistique et physique
Le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES), à travers la Direction du sport, du loisir et de l’activité physique, reconnaît une valeur sportive à la danse qu’il subventionne à travers la fédération Danse Sport Québec (DSQ). Cette fédération, reconnue principalement pour les genres de danse sociale et internationale, mise sur l’aspect sportif de la danse pour le développement de l’athlète et de l’entraîneur d’excellence, dans un but de performer en compétition ou, éventuellement, aux Olympiques, notamment depuis l’introduction du breakdance dans les sports qui y seront représentés. Elle travaille aussi à la reconnaissance de la danse dans le circuit officiel des «Sports-Études» pour permettre aux jeunes athlètes/danseurs d’accéder à certaines subventions.
À ce jour, la DSQ ne regroupe que des membres individuels qui ont dû se qualifier à travers un processus complexe, et donc, les écoles de danse qui forment ces athlètes n’ont accès à aucune aide financière dans la crise actuelle.
La grande faille de l’aide financière pour traverser la crise
Depuis le début de la pandémie, le RED travaille d’arrache-pied pour faire comprendre la composition particulière du secteur et la faille dans laquelle la danse dite «de loisir» se trouve, afin que les écoles puissent recevoir une aide financière adéquate et traverser la crise.
Rappelons que parmi les 430 écoles de danse du Québec, on recense plus de 80% d’écoles privées, dont la forme juridique légale est soit l’enregistrement, soit l’incorporation, soit celle d’un travailleur autonome qui opère l’école en son nom. Ces statuts juridiques, qui correspondent en quelque sorte à des PME culturelles, ne sont pas subventionnés par le gouvernement.
L’aide du MCC
Dès mars 2020, le ministère de la Culture et des Communications a réagi à la pandémie de COVID-19 en devançant les sommes annuelles attendues par les écoles subventionnées au PAFOFA, permettant ainsi l’accès rapide à des liquidités. Bien qu’appréciée, cette avance de fonds ne touchait que 3% des écoles et n’amenait aucun argent neuf.
À l’automne, le MCC a annoncé le Fonds régional d’urgence pour les organismes affectés par la pandémie de COVID-19, une aide d’urgence ouverte aux organismes à but non lucratif (OBNL), subventionnés ou non au fonctionnement, ce qui représente moins de 20% des écoles de danse.
Très récemment, une bonification de l’aide aux organismes de formation en art[2] a été annoncée par le MCC pour soutenir les organismes ayant subi des pertes de revenus liés à la crise. Encore une fois bienvenue, rappelons que cette aide n’est accessible qu’à 3% du secteur.
L’aide du MEES
À la mi-octobre, le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur a annoncé une aide de 70 millions de dollars pour le secteur des sports et loisirs touché par les restrictions liées à la pandémie de COVID-19. Ce financement a été majoritairement octroyé aux fédérations sportives et sous forme de projets spécifiques. Aucun argent de ce ministère n’est parvenu aux écoles de danse pour traverser la crise.
L’aide du ministère de l’Économie et de l’Innovation (MEI)
En octobre, des actions concertées de représentation initiées par le RED ont permis de faire reconnaître le statut de PME culturelle au MEI pour que 80% des écoles privées aient enfin accès à de l’aide, dans le contexte d’une deuxième phase de confinement. Les programmes destinés aux PME (le PAUPME et l’AERAM[3]) ont finalement été élargis pour accueillir d’autres types d’organisations, incluant les studios de danse. Enfin, un grand pas pour le secteur!
Cette aide, octroyée sous forme de prêt, reste difficile à obtenir pour bien des écoles et se fait encore attendre à ce jour. Toutefois, depuis décembre, certaines écoles ont reçu une réponse positive, ce qui est encourageant!
Le fracas de la 2e vague sur les écoles de danse
L’enquête sur les impacts de la deuxième vague, menée par le RED entre le 28 octobre et le 16 novembre 2020, démontre à quel point les écoles de danse sont dans un fragile équilibre qui pourrait mener à de nombreuses fermetures si rien ne change rapidement. Déjà, une quinzaine d’entre elles ont officialisé leur fermeture définitive et cela pourrait malheureusement s’accélérer.
Les 67 répondants au sondage révèlent une situation alarmante. D’abord, le confinement imposé en mars a diminué d’un seul coup la clientèle de 47,55%, de nombreux élèves ayant préféré abandonner plutôt que d’opter pour les cours en ligne. Cela a mené en moyenne à 25 206 $ de pertes financières liées aux remboursements de clients ou aux crédits. Ajoutez à cela le manque à gagner pour l’annulation des spectacles de fin d’année, soit 23 648 $, et celui des autres sources de revenus habituels, soit 12 369 $. On peut donc dire que la première vague a creusé les coffres des écoles de danse en moyenne de 72 819 $.
Ensuite, il a fallu investir, en vue de la rentrée, un montant de 5 250 $ en moyenne, en plus de débuter l’année avec 23% de moins d’inscriptions qu’en temps normal. Puis, à peine un mois après le retour en classe, fermer à nouveau pour toutes les régions en zone rouge, provoquant une perte supplémentaire de 25,34% d’élèves. Pour les élèves ayant maintenu leur inscription d’automne, seulement 48,71% se sont présentés pour leurs classes en ligne. À cette vitesse, on peut estimer qu’en janvier, il restera moins de 30% de la clientèle pour des cours virtuels, de moins en moins attrayants.
Les prévisions font craindre le pire…
Le chiffre d’affaires moyen prépandémie d’une école de danse était de 213 135 $ pour 296 élèves. Celui-ci a chuté à 109 905 $ cet automne et à cette vitesse, il pourrait diminuer de 82% pour atteindre 37 515 $ en janvier, si la tendance se maintient.
Les écoles de danse assument déjà des dettes importantes liées à l’obligation de rembourser les clients, tel que prescrit par l’Office de la protection du consommateur. Gérer une école de danse se fait principalement par passion, et non pour les profits. Même si elles obtiennent une aide pour payer leurs frais fixes et un prêt du MEI pour faire face à cette situation, est-ce que ce sera suffisant? Est-ce que l’éventuelle reprise sera suffisamment lucrative pour rembourser les milliers de dollars de prêts contractés dans les différentes mesures d’aide?
À ce jour, plus de 70% des écoles de danse annoncent qu’elles prévoient fermer, temporairement ou définitivement, tant que la situation ne rendra pas possible un retour en studio permettant d’opérer de manière rentable.
De quoi aura l’air notre secteur dans quelques mois? Quels genres de danse y seront représentés? Et que dire de la santé mentale de nos élèves, de nos enseignants et des directions d’écoles?
Fermetures, pertes d’expertises et de talents, espoirs envolés pour de nombreux jeunes talents.
Voilà qui fait craindre le pire…
Véronique Clément, directrice générale du Réseau d’enseignement de la danse.
[1] https://www.mcc.gouv.qc.ca/index.php?id=6003
[3] https://www.quebec.ca/entreprises-et-travailleurs-autonomes/aide-urgence-pme-covid-19/