Témoignages du CA du RQD au temps de la COVID-19
Les membres du conseil d’administration du RQD partagent leurs réalités professionnelles dans la situation actuelle. Merci à eux d’avoir pris leur plume pour vous adresser ces témoignages.
À travers tout ce chaos, je vois une belle opportunité de nourrir ma créativité. Je ressens un certain plaisir à prendre du temps pour replonger dans de vieux cahiers de notes: revisiter mes dessins, relire mes réflexions, comprendre ce que je vivais à l’époque et réfléchir à mes visions. Je prends le temps d’approfondir des fantasmes de scène ou d’enseignement, que je remets souvent à plus tard. Je prends le temps de rêver, de penser à ce que je désire cultiver pour les prochaines années de ma carrière. J’ai l’impression qu’il y a devant moi un grand champ de possibles. Il est vaste. Oui. Il me motive à courir à grandes enjambées pour rester en forme. Pour rencontrer l’adversité de plein fouet et en faire mon alliée.
– Nicolas Patry
J’ai la chance de travailler avec un directeur artistique qui est ma plus grande source de réconfort et de courage durant cette période. Je m’accroche fièrement à son travail et c’est ce qui me permet de garder espoir: la conviction qu’un jour, son travail pourra à nouveau être présenté sur les scènes du monde. Entre temps, j’essaie de veiller à la santé de la compagnie et du milieu. Je me joins à mes collègues du monde entier dans cet effort et la réunion de toutes ces énergies est une grande source de motivation et d’inspiration.
– Fannie Bellefeuille
Aarhus, Danemark, entre le 11 et le 15 mars 2020. Avec l’équipe de Some Hope for the Bastards de Frédérick Gravel, nous avons vécu en temps réel une tournée qui se disloquait sous nos yeux. Le lendemain de la Première, la nouvelle tombe: les deux autres représentations sont annulées et une incertitude plane quant à la prochaine ville de la tournée… Finalement, après un suspens « apocalyptique » de deux jours, hop! Rapatriement, sans plus de questions, vers nos demeures respectives. Une expérience inédite, avec des séquelles qui laisseront longtemps leur empreinte. En tant qu’artistes, on est habitué à un certain niveau d’incertitude, mais l’actualité nous pousse à l’extrême de nos capacités d’adaptation…
– Jamie Wright
Ma première réaction en réponse à la situation fut d’offrir de l’aide à ceux en quarantaine: je me sentais une super-héroïne en livrant des courses. Ensuite j’ai créé le groupe Home Training sur Facebook pour partager des plateformes d’entraînement et des conseils (comment transformer un 2 ½ en gym). Ça fait plaisir de voir des visages familiers, même par visioconférence, ça aide à rester connecté, à briser l’isolement. L’entraide stimule le moral, et quand cela n’est pas possible je me plonge dans des nouvelles recettes, ou je cultive mon nano potager sur ma fenêtre.
– Bettina Szabo
Malgré l’incertitude quant à la tenue des laboratoires de Nous Sommes L’Été, nous maintenons nos conversations printanières avec les artistes du milieu. Nous proposons tant que possible des rencontres dehors, en marchant, avec au moins 2 m de distance et surtout loin d’un écran! J’éprouve un plaisir énorme à discuter ensemble d’une vision large de nos désirs artistiques, tant individuels que collectifs. La distance physique ne nous empêche pas d’écouter, de dialoguer et de nous recentrer sur les valeurs et les principes au cœur de nos pratiques.
– Lucy Fandel
Chère communauté de la danse, ça fait 10 ans qu’on se connaît. C’est la première grosse tempête que je traverse avec toi et ça tangue fort. Au-delà de ce qui nous affecte dans nos métiers, il y a ce qu’on vit intimement. Je suis très solidaire avec ceux qui, originaires d’un autre pays, ont vu les frontières entre eux et leurs proches se refermer et dont la fragilité du statut au Québec s’ajoute à la fragilité ambiante que l’on vit tous. Mais, foi de bretonne: une tempête, ça se calme toujours! J’ai hâte de te retrouver, chère communauté, dans les studios, dans les salles, au grand air, et qu’on répare la casse ensemble. Je t’envoie de la force, de l’énergie et du courage.
– Marie Mougeolle
En tant qu’artiste et travailleuse culturelle, j’ai participé à des discussions difficiles ces dernières semaines. Il est laborieux pour tout le monde de trouver des solutions aux pertes encourues par le bouleversement actuel. Je me rends d’autant plus compte de l’importance de la transparence. Plusieurs d’entre nous se sentent vulnérables. Dans l’adversité, demeurer bien informé.e.s augmente notre capacité d’agir et permet d’être une force de proposition. Les échanges francs auxquels nous nous prêtons sur le financement, les désirs artistiques (et les émotions!) peuvent être stressants. Mais ils ont le potentiel d’accroître la solidarité et la confiance dans notre milieu.
– Dorian Nuskind-Oder
Malgré l’impossibilité d’être ensemble dans un même espace, j’ai poursuivi mes classes techniques en ligne avec l’université Concordia. Le plus étrange pour moi était de me voir plus à l’écran que mes étudiants pendant les cours. Mais on a gardé un lien. Fragile, différent, mais bien présent. C’est ça qui compte pour l’instant. Ils étaient tellement heureux de revoir leur groupe, de danser et de parler ensemble de ce qu’ils vivent. Ce qui me touchait le plus était de voir leur autonomie, leur désir de continuer par eux-mêmes, de poursuivre leur exploration malgré leur réalité bien difficile. Nous voir tous ensemble n’aura jamais été aussi vital pour garder notre élan.
– Isabelle Poirier
Deux mois déjà. De hauts. De bas. Confronté au temps nouvellement libéré que je cherche à occuper, comme la persistance d’un réflexe de productivité et de rentabilité. Dans l’attente de la suite, assis devant l’offre en direct ou en différé qui se multiplie, me dépasse et m’essouffle, un changement de rythme est nécessaire. Un quotidien nouveau s’installe: yoga, méditation, marche, bain, lecture. Et faute de gagne-pain, je fais mon levain pour continuer à créer, troquant le studio pour la cuisine. Cette routine flexible et sécurisante m’aide à ralentir et à rester connecter au présent pour éviter d’animer le stress et l’anxiété que peut provoquer cette période trouble.
– Georges-Nicolas Tremblay
Les temps sont durs: rares sont les achats et nombreux sont les remboursements de billets au Théâtre Hector-Charland, qui présente normalement quelque 300 représentations par an de diverses disciplines artistiques. Les employés suspendus temporairement ont heureusement vite été réhabilités à leurs fonctions. Il y a tant à faire. À peine retombés sur nos pattes, il va nous falloir tout repenser pour mieux repartir. Mais ce qui ne changera pas, c’est notre soutien envers les artistes et l’importance de notre travail en région dans cette chaîne à plusieurs maillons, qui doit se rendre, coûte que coûte, jusqu’au public.
– Annie-Claude Coutu Geoffroy
Au sein de la communauté de la gigue contemporaine, plusieurs artistes ont fait leur apprentissage dans des troupes de folklore québécois, où la gigue est transmise oralement depuis des décennies. Depuis la mi-mars, cessation de l’activité des troupes jusqu’à l’automne. Plus de danses traditionnelles en couple, plus de passation aux jeunes gigueurs. Cet arrêt brutal et à durée indéterminée de la transmission du patrimoine dansé au Québec est une réalité qui pourrait avoir des conséquences pernicieuses dans les prochaines années. Mais espérons que tous ces jeunes passionnés et allumés par la soif d’apprendre fouleront à nouveau les planches avec ardeur et que certains constitueront la nouvelle génération de gigueurs professionnels.
– Lük Fleury
Dès que nous avons pris la difficile décision de fermer le centre chorégraphique, je me suis rappelé une vieille maxime: «Donne-moi la sérénité d’accepter les choses que je ne peux changer, le courage de changer les choses que je peux et la sagesse d’en connaître la différence». Les mesures mises en place nous demandaient d’être confinés à domicile, mais ne nous condamnaient pas à l’inaction. Dans le contexte actuel, il est important de reconnaître son impuissance face à certaines situations et encore plus important de s’appliquer à changer les choses que l’on peut. L’équipe de Circuit-Est s’efforce chaque jour d’imaginer de nouvelles méthodes de travail, de réfléchir à comment améliorer ses services et mieux soutenir les artistes et travailleurs de notre milieu. Aux oubliettes l’impuissance, c’est maintenant le temps de l’adaptation et de la solidarité.
– François Bellefeuille