Pour une «culture de la culture» à l’école
Je tire ce mois-ci mon titre de chronique dans les propos tenus par notre ministre de la Culture en marge de l’annonce du financement de deux sorties culturelles gratuites par an pour tous les élèves du Québec. Enfin! Martelée unanimement lors des consultations pour le renouvellement de la Politique culturelle, la nécessité absolue de créer plus de ponts entre culture et éducation a été reconnue par nos gouvernements. Le plan d’action de la Politique Partout, la culture y consacrait dès l’an dernier une mesure; l’enveloppe qui y est assortie sera augmentée très substantiellement dès la rentrée prochaine et pour une durée de cinq ans. Un investissement historique dont les parents ne peuvent que se réjouir et dont la ministre Roy souhaite qu’il favorise, selon ses termes, le développement d’une culture de la culture et des publics de demain. On applaudit cette avancée majeure en espérant qu’elle est le premier signe d’un engagement politique durable pour tisser d’indéfectibles liens entre les arts et l’école. Dans la liesse du moment, on n’en reste pas moins conscient des enjeux financiers reliés à la diffusion auprès des publics scolaires et des difficultés qui perdurent pour la danse jeune public.
Concrètement, les 32,5 M$ octroyés annuellement visent principalement les jeunes du préscolaire, du primaire et du secondaire. Pour couvrir les frais de deux sorties, incluant les coûts de déplacement parfois très importants dans les régions rurales, les établissements d’enseignement recevront des sommes variant de 30$ à 54$ par élève. Les professeurs en disposeront à leur gré. Ils pourront désormais acheter des billets de spectacles sans avoir à gérer les lourdeurs administratives préalables qui prévalaient jusqu’à présent. Leur seule obligation: consacrer exclusivement cet argent à un minimum de deux sorties annuelles et ce, en collaboration avec un organisme inscrit au Répertoire culture-éducation du ministère de la Culture et des Communications. On y trouve aussi bien des compagnies et diffuseurs en danse que des centres d’archives ou d’interprétation, des cinémas, des bibliothèques, des musées, des associations de conteurs, d’organistes et autres acteurs du très large secteur culturel. Soit dit en passant, la danse est encore peu présente dans ce répertoire qui donne pourtant accès à de généreuses subventions pour intervenir à l’école. Les organismes peuvent s’y inscrire en tout temps.
Il y a fort à parier qu’avec ce financement possible de deux sorties par an, les propositions d’activités culturelles les plus variées vont affluer en grand nombre dans le milieu de l’éducation. Il va falloir jouer serré pour se distinguer de la concurrence et tirer son épingle du jeu. Il nous faudra donc, plus que jamais, valoriser la spécificité et la richesse de l’apport de l’art chorégraphique aux jeunes, tant auprès des milieux scolaires que des diffuseurs pluridisciplinaires. Dans le même temps, il nous faudra œuvrer à la croissance de la relève encore timide en matière de création jeune public. Rappelons à ce titre que les compagnies québécoises de danse jeune public se comptent sur les doigts d’une main contre une cinquantaine en théâtre. Le rapport de force est clairement inégal.
Compagnies et diffuseurs se réjouissent, bien sûr, d’avoir les moyens de consolider les liens déjà développés avec les milieux scolaires en offrant un plus grand nombre de représentations des œuvres programmées et espèrent pouvoir élargir l’offre de spectacles aux écoles. Les sommes allouées au remboursement des sorties culturelles n’augmenteront cependant en rien la capacité des écoles de payer le coût réel du billet d’entrée. Toute augmentation de la demande obligera donc les diffuseurs à redoubler d’efforts pour trouver comment compenser le manque à gagner et éviter le déficit. Le financement des sorties culturelles gratuites ne permettra pas non plus d’augmenter le cachet des artistes œuvrant en jeune public qui, pour l’heure, sont très inférieurs aux pratiques du marché. Ainsi, pour que les jeunes du Québec puissent profiter massivement et pleinement des arts de la scène lors de sorties culturelles, la logique mathématique pointe une augmentation nécessaire du soutien à la création et à la diffusion de spectacles. Ce serait un des prochains pas à effectuer pour réussir à ériger une culture de la culture.
Fabienne Cabado
Directrice générale du Regroupement québécois de la danse