Entre solitaires
J’ai eu d’innombrables conversations au sujet de la solitude. Être chorégraphe, surtout comme artiste indépendant, est souvent synonyme de nombreuses heures de travail seul devant un ordinateur. Faire face aux enjeux artistiques et administratifs est intimidant, d’autant plus dans l’isolement de la maison-bureau (soit le divan du salon). Pour affronter ces défis, de plus en plus d’individus et d’organisations proposent des initiatives qui mettent l’accent sur le partage, l’échange et l’entraide mutuelle. De nouveaux modèles de compagnies collectives, de plateformes de co-working et de regroupements formels ou informels d’artistes permettent de partager des informations, des ressources ou même du temps de studio. Je souhaite présenter ici quelques-uns de ces projets coopératifs ouverts et accessibles à tous dans notre milieu.
Co-développement professionnel au RQD
Depuis le printemps 2017 jusqu’en janvier 2018, j’ai eu le plaisir de me joindre à cinq artistes dans le cadre d’un groupe de co-développement destiné aux chorégraphes. Ce groupe organisé par le Regroupement québécois de la danse était animé avec grande sensibilité par Pierre Morin.
Les participantes, toutes des femmes, représentaient une grande variété d’âges, d’expériences, de parcours, de préoccupations, et d’objectifs de carrière. À chaque rencontre mensuelle, une participante était invitée à endosser le rôle de client, exposant un défi professionnel ou une problématique liée au milieu du travail. Suivant une structure spécifique, ce client décrivait alors sa situation et ses besoins. Puis, à leur tour, les membres du groupe travaillaient ensemble pour trouver des solutions ou de nouvelles approches au problème.
Je pourrais parler longuement des différents enjeux que nous avons abordés au cours de nos discussions. Nous avons traité un large éventail de sujets, qu’ils soient logistiques, créatifs ou existentiels. Cependant, la principale leçon que j’en ai tirée est l’importance d’aller chercher des conseils et du soutien au-delà de mon réseau social et professionnel habituel. Nos échanges ont été stimulants, étonnants, parfois même frustrants, mais j’ai énormément appris de ce processus.
La Piscine
Organisée par Les Réservoirs (Élise Bergeron, Marie-France Jacques, Alexia Martel et Audrey Rochette), La Piscine crée de nouvelles opportunités de recherche artistique fondamentale hors du cadre habituel de production en permettant d’explorer une idée qui ne serait pas suffisamment aboutie pour faire l’objet d’une demande de subvention ou pour s’engager dans un projet de longue haleine.
La Piscine est une plateforme permettant aux chorégraphes de proposer une exploration artistique courte (entre 1 à 2 répétitions). Les danseurs peuvent se porter volontaires pour prendre part à toute proposition d’exploration créative qui les intéresse. Conscient de l’enjeu systémique de la non-rémunération dans notre milieu, ainsi que de la réalité financière de nombreux chorégraphes, La Piscine met l’accent sur la réciprocité entre chorégraphes et interprètes. Par exemple, les danseurs sont accueillis selon le principe du premier arrivé, premier servi. Cette règle permet de renverser la structure habituelle de sélection selon laquelle l’interprète doit attendre d’être invité à un processus de création par le chorégraphe. Or ici, ce sont eux qui choisissent les propositions qui les intéressent. De cette façon, La Piscine cherche à encourager la création de nouveaux liens inattendus entre chorégraphes et interprètes, tout en permettant à tous les artistes de prendre des risques et d’explorer de nouvelles idées.
ITINÉRANT – L’espace des chorégraphes
Je co-organise ce projet en collaboration avec Katie Ward depuis 2 ans. Nos rencontres mensuelles offrent l’opportunité aux créateurs des arts de la scène de présenter leurs créations en chantier et les exercent à donner et à recevoir des commentaires critiques. Toute personne s’auto-identifiant comme artiste professionnel est libre de participer, quels que soient son âge, son parcours, ses aptitudes ou ses choix esthétiques. Notre seule exigence est que chaque participant soit ouvert à partager quelque chose, ce qui assure une atmosphère de vulnérabilité et d’investissement réciproque.
Chorégraphes Anonymes
Initié par la 2e Porte à Gauche, en partenariat avec Circuit-Est centre chorégraphique et animé par Frédérick Gravel, Chorégraphes Anonymes offre aux chorégraphes un espace d’échange autour de problématiques liées à la création et à la production. La prochaine séance, organisée le 19 mars, sera consacrée à la question: «Se renouveler ou s’obstiner? » Je suis impatiente d’y assister et j’espère y rencontrer certain.e.s d’entre vous!
En mettant l’accent sur l’horizontalité et la réciprocité, ces projets offrent un espace de convergence privilégié pour des artistes aux esthétiques, affinités et générations variées. Espérons que ces rencontres permettront aux participants de pallier leur solitude, mais aussi de reconsidérer leurs préjugés et d’en apprendre davantage sur les différentes options de carrières et pratiques de création en danse.
Dorian Nuskind-Oder © Simon Grenier-Poirier