Des nouvelles de la Toile-mémoire
« Source de connaissances et de reconnaissance incroyable, le patrimoine de la danse professionnelle au Québec reste en jachère, à commencer par son répertoire chorégraphique qui contient en puissance des centaines d’œuvres à garder vivantes. Le patrimoine de la danse, ce sont des archives sonores, visuelles, écrites, des artéfacts de spectacles, des histoires à écrire, des monographies à établir, des savoirs pratiques transmis oralement de génération en génération. C’est une culture de la conservation et de la mise en valeur de ce patrimoine artistique qui est à développer pour donner accès à ce qu’il recèle et cultive depuis plusieurs décennies maintenant. Tout est à faire. »
Plan directeur de la danse professionnelle au Québec 2011-2021, p. 82
Cet extrait du Plan directeur donne à voir l’ampleur et la complexité des défis posés par le patrimoine de la danse. C’est dans ce contexte qu’entre 2007 et 2009, dans le cadre des Grands Chantiers qui mèneront aux Seconds États généraux de la danse professionnelle, la nécessité de formuler un récit historique de la danse a clairement été identifiée. Fort de cette conviction, le RQD s’engageait dans un travail de reconstitution d’une histoire de la danse au Québec. Ce projet, qui a finalement pris la forme d’une Toile-mémoire de la danse, a été réactivé cet automne avec l’arrivée de Gabrielle Larocque au sein de l’équipe du RQD. Nous l’avons soumise à un petit questionnaire, afin de mieux comprendre l’organisation de cet important travail de mémoire, les méthodes d’enquête et les défis auxquels elle est confrontée.
En quelques mots, peux-tu nous rappeler ce qu’est la Toile-mémoire ?
La Toile-mémoire est d’abord une somme d’éléments, individus, institutions et diffuseurs, qui sont reliés entre eux par différents liens filiatifs de transmission, d’enseignement ou de collaboration artistique. Ces filiations sont exprimées sur un support visuel et représentent une généalogie de l’histoire de la danse professionnelle de scène au Québec. On y retrouve les pôles de concentration du savoir-faire qui ont structuré la danse professionnelle au Québec au cours du 20e siècle, et les relations intriquées qui se sont dessinées entre ces pôles.
Mais la toile est aussi l’expression d’un contexte socio-culturel propre au Québec. En proposant un tissu multidirectionnel de filiations, la toile ouvre à un dialogue renouvelé entre le passé et le présent et devient le support de différents types de récits. On peut aisément y lire, entre autres exemples, l’empreinte des mouvements migratoires ou encore les «deux solitudes» à l’œuvre dans le développement de la danse professionnelle à Montréal.
Qu’est-ce qui a mené à la constitution de la Toile-mémoire et quel était l’état d’avancement des recherches à ton arrivée dans le projet ?
Au terme d’un processus de recherche et d’enquête, Catherine Lavoie-Marcus a établi une chronologie qui, au fil de l’exercice, s’est transformée en un réseau complexe de liens et de croisements plus intelligibles sur un support visuel. Cette représentation visuelle a été présentée publiquement à l’ouverture des Seconds États généraux de la danse professionnelle et a fait l’objet de deux ateliers de présentation et de validation. En 2013, soit quatre ans plus tard, le RQD décide de relancer les travaux et c’est à ce moment que j’arrive dans le projet. Précisons que la Toile-mémoire, dans sa forme actuelle, identifie 315 éléments, individus, institutions et diffuseurs. Ces éléments, jugés importants dans le récit de la danse au Québec, ont été sélectionnés notamment sur la base des recherches d’Iro Tembeck, historienne de la danse (Danser à Montréal, 1991). Écrire l’histoire, ou la dessiner dans ce cas-ci, résulte toujours d’une rencontre entre un souci d’objectivité et une inévitable subjectivité. Il est donc impossible de faire l’examen exhaustif de cette Toile et ce n’est d’ailleurs pas l’objectif de ma mission.
Ma mission consiste plutôt à documenter chacun des éléments identifiés comme vecteur de création et ainsi poser les jalons d’une histoire. La structure de documentation a été présentée et approuvée par plusieurs personnes susceptibles d’utiliser la Toile à des fins d’enseignement.
Plus précisément, quelle est la nature de ton travail ?
C’est donc au terme d’un processus consultatif que la structure de documentation a été établie. Dans un premier temps, l’objectif que nous nous sommes fixés est de nourrir et documenter 50 fiches pour la fin du mois de mars, accompagnées d’un élément iconographique. La constitution de cette première série de fiches permet d’expérimenter la méthode, et éventuellement d’identifier les limites de la structure de documentation telle que nous l’avons conçue.
Concrètement, chaque fiche comporte un texte de 300 mots qui présente trois types d’éléments : les influences et la formation, les réalisations et la carrière ainsi que les legs et les apports stylistiques. La fiche identifie également l’emplacement géographique des fonds d’archives et présente une sélection d’iconographie fixe.
Les recherches iconographiques ont été confiées à Ève Bigras, doctorante en sciences de l’information qui a accès notamment aux fonds d’archives que BAnQ a généreusement mis à notre disposition. Nous avons également fait appel à Me Sophie Préfontaine pour la rédaction d’un modèle de licence d'utilisation des images.
Certains pourraient s’étonner du fait que la Toile-mémoire soit centrée uniquement sur des figures de la danse, des institutions, des compagnies et des diffuseurs. C’est ici, dans le contenu des fiches, qu’il est possible d’enrichir le récit en référant à des œuvres chorégraphiques, des techniques, des styles, etc.
Quels sont les défis liés à la documentation de ce patrimoine immatériel ?
La définition que donne l’UNESCO du patrimoine culturel immatériel est la suivante : les pratiques, les représentations, les expressions, les connaissances et savoir-faire que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel.
La définition même du patrimoine immatériel laisse voir le principal défi que représente la documentation d’une réalité intangible qui suppose que le travail s’effectue essentiellement à partir de récits, de photos, de traces, de représentations de l’œuvre, etc.
Et au Québec, comme très peu d'histoire de la danse n’a été écrite jusqu’ici, ces sources sont souvent partielles et fragmentaires, en plus d’être éparpillées géographiquement. Il faut donc faire l’exercice de réassembler les fragments, d’interpréter des données contradictoires et de combler les informations manquantes. La documentation iconographique amène également son lot de défis puisqu’elle est souvent mal, voire pas du tout, identifiée et très peu décrite. Pour cette recherche, l’un des lieux que nous fréquentons le plus est la Bibliothèque de la danse Vincent-Warren.
Quels sont les objectifs pour la suite ?
Le principal document de travail qui guide et oriente la recherche est la fameuse Toile-mémoire, cette carte de 3’ x 5’ qui illustre le tracé des filiations. Nous souhaitons évidemment conserver cet aspect visuel et continuer à le développer.
Parallèlement au travail de recherche documentaire relatif aux 315 éléments, nous avons déjà commencé à imaginer des façons de diffuser cet important travail et nous envisageons de le rendre accessible dans une plateforme numérique. Les possibilités du Web 2.0 nous permettent d’imaginer une Toile-mémoire interactive qui pourrait éventuellement être nourrie par les internautes afin d’enrichir les liens de filiation, voire d’ajouter de nouvelles entrées.