Soigner ses stratégies pour traverser les crises
Des crises, l’ensemble des artisans des arts en vivent à des degrés divers. Les budgets pour la culture ont beau avoir augmenté, les déceptions restent nombreuses en matière de financement, bien des projets sont dramatiquement contrariés et les cas d’épuisement professionnel ne cessent de se multiplier. En marge de la passion, des aptitudes de gestion, de la créativité et autres qualités qui favorisent la réalisation de nos missions et de nos rêves, la participation active à la vie de notre communauté s’avère une planche de salut à ne pas négliger. Et si cela n’est pas une évidence pour tout le monde, cette communauté inclut les conseils des arts et les gouvernements avec lesquels il est primordial de tisser et d’entretenir ses liens. Comment s’y prendre pour dialoguer avec ces instances qui peuvent sembler opaques, voire inaccessibles?
Pour offrir quelques réponses à cette question sur les plans municipal et provincial, Culture Montréal a récemment réuni en séminaire plusieurs anciens ministres, ex fonctionnaires, professionnels des arts et une conseillère politique. S’appuyant sur leurs expériences respectives, ils ont partagé leurs recommandations en matière de représentation. Premier constat: les ressources étant limitées, chacun doit assurer sa présence sur le grand échiquier du financement des arts et y déplacer ses pions à mesure que le jeu se transforme. Car, entre changements de gouvernements et d’orientations stratégiques, remaniements ministériels, refonte des programmes et des modèles de financement, et fluctuation des budgets alloués à la culture, il faut régulièrement chercher le vent qui gonflera le mieux nos voiles. Cela est vrai pour les associations telles que le Regroupement québécois de la danse, qui défendent les intérêts collectifs, autant que pour les artistes et organismes qui œuvrent pour leur propre compte.
Développer une vision assez large des réalités du secteur culturel, connaître les orientations et les contraintes des conseils des arts et comprendre la logique particulière et le fonctionnement de l’appareil gouvernemental sont les fondements d’une stratégie de communication efficace avec ceux et celles qui tiennent les cordons de la bourse. Cela permet notamment de nourrir des attentes réalistes et de cibler les demandes les plus susceptibles d’être entendues. Ces dernières doivent être précises, présentées avec concision et étayées d’un argumentaire solide permettant de faire ressortir les retombées recherchées pour le demandeur autant que les impacts positifs pour l’interlocuteur. On a en effet tout intérêt à adopter une attitude de partenaire en situant sa demande et ses actions dans une perspective de développement économique, disciplinaire et sociétal. Un travail particulièrement pertinent et délicat quand nos objectifs ne s’inscrivent ni dans les priorités ministérielles, ni dans celles des sociétés d’État. Un travail dont on attend parfois longtemps avant qu’il porte fruit, mais dont l’intérêt premier est de semer des graines en instruisant les personnes en poste dans les institutions publiques.
Rester conscient d’avoir affaire à des humains aide par ailleurs à développer l’esprit de dialogue et de coopération nécessaire à la qualité et à la pérennité de toute relation. Alliés avérés ou potentiels, nos interlocuteurs pourraient bien se braquer face à l’agressivité et à la pression. La confrontation, nous dit-on, ne devrait s’imposer que comme ultime recours et être organisée en pleine connaissance des rapports de force en jeu. Ainsi, malgré les légitimes frustrations, incompréhensions, colères et angoisses que peuvent générer certaines situations, les panélistes du séminaire s’entendent sur l’idée qu’en cas d’insatisfaction, la stratégie la plus gagnante reste le maintien du dialogue et la recherche commune de solutions.
Les raisons d’être débouté d’une demande sont en effet si nombreuses qu’il est important de dépersonnaliser un refus et de s’en servir comme d’un levier pour rendre possible, dans un futur plus ou moins proche, ce qui ne l’est pas dans l’instant. «Les enjeux et les alliés sont mobiles», précise l’ex vice-présidente du RQD Karla Étienne, régulièrement impliquée au sein de l’un ou l’autre des trois conseils des arts. Elle confirme la pertinence de se tenir bien informé pour saisir les opportunités quand elles se présentent et s’éviter des déconvenues. Évidemment, cela implique de cultiver sa patience et de revoir ses plans, ce qui est plus difficile pour les nombreux artistes et organismes qui sont en mode survie et ne disposent pas forcément de marge de manœuvre. D’où l’importance de travailler ses relations dans la durée.
De la même façon qu’on n’attend pas d’avoir un problème pour faire appel à ses amis, il est conseillé d’informer régulièrement ses partenaires des réalités et des enjeux de l’heure, de leur faire part de ses succès autant que de ses problèmes et, pourquoi pas, de les valoriser à l’occasion, en soulignant leurs bons coups ou en les remerciant tout simplement. De même, on misera sur la transparence en tenant au courant ses partenaires des conseils des arts de toute démarche effectuée auprès d’élus ou de fonctionnaires de l’appareil gouvernemental.
En résumé, qui fonctionne en vase clos aura bien du mal à faire face aux défis et aux crises. L’idéal est de se faire connaître et de bâtir un capital relationnel en assurant la meilleure présence possible sur le terrain. Profiter le plus possible de 5 à 7 et autres événements publics, participer à des consultations diverses et s’impliquer dans des comités ou des jurys constituent d’excellentes occasions de s’instruire, de réseauter et d’augmenter son potentiel d’influence. Cela vous paraît trop ambitieux? Commencez par miser sur les associations qui vous représentent!
Professionnels de la danse, les infolettres et activités proposées par le RQD sont des moyens faciles de rester informés et connectés à votre communauté. L’échange avec les pairs est bien souvent source d’apprentissage, d’inspiration et de réconfort. Et le dialogue avec les membres de l’équipe vous donne la chance de partager vos idées, vos préoccupations, vos réalités et d’exercer une influence à un autre niveau en nourrissant la connaissance et le discours de l’organisme qui porte votre voix.
Fabienne Cabado
Directrice générale du Regroupement québécois de la danse