Le harcèlement en danse sous la loupe des médias
Entre cinq articles et une entrevue radiophonique, le sujet du harcèlement en danse a été abordé dans quatre médias la semaine dernière, suscitant de nombreuses réactions et beaucoup d’émotions. La bête médiatique étant ce qu’elle est, on a pu déplorer un certain nombre de raccourcis, d’erreurs factuelles, de propos déformés[1], de clichés[2], de maladresses et de choix éditoriaux livrant un portrait du milieu de la danse sombre, sans nuances et sans grande perspective. Sachant que le sujet reste tabou et que la libération de la parole est une clef pour la généralisation de pratiques non violentes, voyons ce qu’il pourrait ressortir de bon de cet étalage médiatique.
Toute sortie publique d’affaires de harcèlement et d’agressions sexuelles réveille de vieilles douleurs, délie les langues, exacerbe les besoins de justice et de réparation. Cela est légitime et souligne le manque de ressources d’accueil et d’accompagnement des victimes du secteur de la danse où, rappelons-le, les frontières des comportements acceptables sont floues et mouvantes, où les délits sont peu dénoncés et où les victimes trouvent peu de baume à appliquer sur des plaies qui restent bien souvent béantes. Cela souligne aussi le désir et la nécessité de mettre en œuvre des mécanismes pour garantir des espaces d’apprentissage et de travail sains et sécuritaires.
En réponse au sentiment d’impuissance et de colère lié au fait que des individus connus pour leurs comportements répréhensibles continuent d’œuvrer librement dans le milieu de la danse et que les peines infligées aux rares accusés sont généralement trop légères, certains voudraient pouvoir cataloguer et exclure les agresseurs sans nécessairement passer par de longs et lourds processus judiciaires dont une victime, il faut le dire, n’est jamais sûre de ressortir gagnante ni indemne. On ne peut cependant ignorer les risques inhérents aux actions de justice populaire qui génèrent leur lot de dommages collatéraux sans pour autant apporter le réconfort ni la sécurité espérés. Pour être gagnée, la lutte contre les violences doit se mener collectivement et au grand jour.
Des lois existent et qui veut agir efficacement se doit de les connaître, de même que les termes précis pour qualifier les choses. La recommandation s’applique notamment aux journalistes séduits par les sirènes du sensationnalisme. À ce titre, la section Identifier et nommer les abus de la trousse de prévention publiée en juin dernier par le Regroupement québécois de la danse (RQD) aide à distinguer une incivilité, un incident malheureux ou un simple conflit d’un acte légalement répréhensible. La bande dessinée Danser, ce n’est pas tout accepter! – que l’organisme dévoilera avant la fin du mois – devrait aussi sensibiliser les élèves, les étudiants et les professionnels de la danse à ce qui peut constituer une situation problématique. En cas de doute, tout interprète peut s’adresser à l’Union des artistes (UDA) et toute victime du secteur culturel peut profiter des services juridiques gratuits et confidentiels de L’Aparté – cité en tête des 15 organismes du Répertoire de ressources spécialisées de la trousse de prévention qui comprend aussi un Portrait de la situation en danse et des Outils pour les organismes.
Une association comme le RQD n’a ni l’autorité ni le pouvoir d’enquêter, de dénoncer, de juger ni même de sévir. Son rôle se résume à sensibiliser sa communauté aux problèmes qui peuvent nuire à ses membres, à l’outiller pour y remédier et à orienter les personnes qui s’adressent à lui. En plus des outils qu’il a déjà produits, des textes qu’il a publiés notamment dans sa rubrique Les Échos du milieu, des ateliers ou formations qu’il a offerts et des mesures de prévention qu’il applique à l’interne, l’organisme choisit de prendre position publiquement en répondant par exemple aux demandes d’entrevue. D’une part, parce qu’il a pour mission d’œuvrer à l’amélioration des conditions de pratiques des artistes et des travailleurs culturels et que cela touche entre autres à l’éthique des relations professionnelles. Aussi, parce qu’il s’avère que la lutte contre le harcèlement et les agressions sexuelles passe par une parole libre et franche. Et plutôt que de faire porter aux seules victimes le poids de l’évolution des mœurs et des comportements en les exhortant à se rendre devant les tribunaux, le RQD encourage chaque individu à questionner d’emblée toute demande ou tout comportement qui lui semblerait inadéquat et à manifester tout inconfort face à une situation qui lui semblerait problématique, même s’il n’en est pas la cible directe. Les témoins ont un grand rôle à jouer pour relever le défi d’enrayer la violence et son cycle infernal. Et pour ce faire, la communication est un outil précieux. Nous avons besoin d’écoute et de solidarité pour développer et instaurer, collectivement, une culture du consentement. Là est notre plus grand pouvoir.
Fabienne Cabado
Directrice générale du Regroupement québécois de la danse
[1] Un article publié par l’Agence QMI sur le site de TVA nouvelles et dans le Journal de Montréal en écho à l’entrevue donnée par la directrice générale du RQD à QUB Radio déformait les propos de cette dernière dans une formulation préjudiciable tant pour l’organisme que pour les professionnels œuvrant en danse classique. Le RQD a demandé à ce qu’elle soit corrigée. À l’heure d’écrire ces lignes, il n’avait pas encore obtenu satisfaction.
[2] Toutes les illustrations choisies par les rédactions sont des images de danse classique, comme si la danse se résumait au ballet.