Appropriation culturelle et racisme systémique: bilan de l’atelier du RDV annuel
Plus d’une cinquantaine de membres du Regroupement québécois de la danse (RQD) se sont réunis en atelier à l’occasion du Rendez-vous annuel des membres 2018 pour réfléchir et dialoguer sur les notions de racisme systémique et d’appropriation culturelle. À la fois indispensable et fort attendue, cette discussion a été riche de partages, de prises de conscience et d’idées pour un milieu de la danse plus inclusif.
Mieux comprendre les concepts
En première partie de l’atelier, Nadia Hajji, chargée de recherche à Diversité artistique Montréal (DAM), a démystifié les concepts encore mal compris de privilège blanc, de colonialisme, de racisme systémique et d’appropriation culturelle. La conférencière s’est attachée à lever l’ambiguïté entre le racisme et le racisme systémique, décrivant ce dernier comme un phénomène sociétal ancré dans un passé colonial, où des biais culturels implicites ou inconscients contribuent à perpétuer les exclusions. Elle a invité à reconnaître ces biais comme une première étape vers un débat sain, ouvert et rassembleur. Cette entrée en matière a permis aux participants de mieux comprendre les exclusions auxquelles font face les Autochtones, les minorités et les personnes racisées et ainsi de mieux faire le parallèle entre la discrimination systémique à l’échelle sociale et celle vécue plus spécifiquement dans le milieu de la danse professionnelle.
Aborder des questions sensibles dans un esprit de solidarité
En deuxième partie de l’atelier, des membres du comité Inclusion et vivre-ensemble (IVE) ont partagé le fruit de leurs réflexions sur les problématiques de l’inclusion dans le milieu de la danse. Valérie Lessard, chargée de projet des relations professionnelles au RQD, a présenté les travaux de la cellule éducation du comité, tandis que Bettina Szabo et Hanako Hoshimi-Caines, toutes deux artistes en danse et membres du comité IVE, ont présenté respectivement les cellules de réflexion sur l’esthétique et la création, la représentation dans les institutions et les ressources à développer pour le milieu. Rappelons que les séances de travail du comité visaient à réfléchir sur les notions de décolonisation et d’appropriation culturelle ainsi qu’à identifier les exclusions à l’œuvre dans le milieu en les situant dans leurs différents contextes, institutionnels (organismes, subventionnaires, écoles de formation professionnelle, diffuseurs) et esthétiques (compagnies, styles, création indépendante, etc.).
Les constats du comité IVE ont contribué à l’élaboration d’une série de questions soumises par la suite aux participants de l’atelier, invités à répondre à celles de leur choix dans un cercle de parole. La sous-représentation de certains groupes dans les œuvres et sur scène, la polarisation du débat entre l’appropriation culturelle et la liberté de création, les barrières à l’entrée pour la professionnalisation, la hiérarchie des styles de danse, l’accès aux bourses et la discrimination positive liée au financement des artistes racisés ou dits de la diversité furent autant de sujets abordés. Ces questions qui ébranlent philosophiquement et conceptuellement toute la chaîne de création cherchaient à prendre la mesure des sensibilités individuelles et collectives sur le phénomène de la discrimination dans l’écosystème particulier de la danse.
Les questions ont été lues à haute voix et la conversation s’est déroulée selon un modus operandi créé par Camille Renarhd dans le cadre de sa recherche doctorale et faisant partie d’une pratique plus large appelée «Embodied talk». Ce système de partage équitable de la parole a permis aux membres de s’exprimer verbalement, mais aussi d’écrire leurs réflexions, commentaires et souhaits sur des cartes que le RQD a ensuite recueillies et analysées.
De la responsabilité individuelle et collective
À la lumière des paroles échangées et des commentaires écrits par les membres, les notions de responsabilité et d’ouverture sont apparues comme les plus fondamentales. Dans cet esprit, est souvent revenue la nécessité de «s’éduquer»; une éducation qui passe par la compréhension du vocabulaire relatif au racisme, la connaissance des diverses cultures et de leurs pratiques artistiques, et que l’on peut acquérir par la lecture ou en allant voir leurs spectacles. L’idée de responsabilité suggère également que les personnes qui bénéficient de privilèges le reconnaissent et que nous développions tous une vigilance face aux angles morts et aux risques d’appropriation culturelle. En faveur d’une plus grande ouverture, il a été suggéré de poser des gestes concrets tels que la recherche de collaboration et la consultation avec des artistes d’origines et de pratiques diverses. Désamorcer les peurs liées à la radicalisation, valider et légitimer les revendications associées aux stigmates de la colonisation et au déséquilibre des pouvoirs ont également été soulevés.
Décolonisation et représentativité
Qu’il s’agisse des réflexions du comité IVE ou de celles ayant émergé de l’atelier du RDV annuel, les enjeux relatifs à la création et à l’esthétique suscitent des réactions plus passionnées et soulèvent des questions épineuses. Les notions de professionnalisme et d’excellence, entre autres, sont considérées sous des angles nouveaux. Il est notamment discuté d’éliminer la hiérarchie des esthétiques et de réfléchir plus largement aux influences eurocentristes sur notre conception de l’art en général. Le concept de décolonisation soulève également des questions de représentativité: quels corps pour quelle danse? Quelle danse pour quels publics? Comment apprécier et inclure la différence en évitant les stéréotypes et le tokénisme*? Est-ce que la discrimination positive et les quotas sont des solutions viables à long terme? Des questions qui animent le débat au sein du RQD comme ailleurs.
Poursuivre le dialogue
Le sujet de l’inclusion est encore nouveau pour plusieurs, les interrogations restent nombreuses et le vocabulaire engagé dans les débats ne fait pas toujours consensus. Entre les craintes d’offenser et celles de censurer, entre la volonté de reconnaître la différence et celle de ne plus la voir, les fragilités sont mises à l’épreuve de part et d’autre. Quoi qu’il en soit, l’intérêt pour les questions d’équité et pour une redéfinition de la notion d’excellence est indéniablement grandissant dans le milieu de la danse. On sent la volonté des membres du RQD de comprendre, d’apprendre, de trouver des solutions pour en arriver à l’équilibre où tous les artistes jouiront de la même égalité des chances, peu importe leur origine, leur langue, leur couleur de peau, leur religion ou leur pratique artistique. Les participants furent nombreux à exprimer le souhait de poursuivre le riche dialogue amorcé lors de cet atelier.
En réponse à ce souhait et afin d’entendre de nouvelles voix et d’inclure le plus de monde possible dans le dialogue, le RQD organise un nouveau cercle de parole, le 10 décembre prochain. C’est par la rencontre et l’échange que la compréhension et la transformation peuvent se faire. Soyez-y!
*Le tokénisme est une pratique visant à faire un effort superficiel ou symbolique d’inclusion de personnes issues des minorités ou de la diversité, dans le seul but de bien paraître.
En complément.
- Inscrivez-vous pour participer au cercle de parole du RQD du 10 décembre 2018.
- Consultez le Rapport de la consultation sur le racisme systémique dans le milieu des arts, de la culture et des médias à Montréal, dévoilé par DAM cette semaine.