Révolutions en cours
L’histoire de la danse de scène occidentale est pétrie d’emprunts aux cultures du monde, que les concepts d’appropriation culturelle et de racisme systémique viennent aujourd’hui questionner. Elle est fondée sur un sexisme qui a d’abord interdit les feux de la rampe aux femmes, en a fait des objets sexuels et peine encore à reconnaître en elles des artistes à part entière, positionnant fréquemment les danseuses comme de simples muses voire, de pures exécutantes. À l’image de la société humaine, cette histoire regorge de récits d’abus de pouvoir, de harcèlement et de manipulations en tout genre. Mais aujourd’hui, la coupe est pleine et les voix s’élèvent, de plus en plus nombreuses, pour réclamer un changement radical des visions et des pratiques. La communauté de la danse fédérée par le RQD s’est engagée à faire face à ces enjeux majeurs.
Autres temps, autres mœurs. L’époque est aux paroles qui se délient dans les médias sociaux et traditionnels. La résignation et la honte font place à la colère et aux prises de position fermes. On ne craint plus de dénoncer les abus et l’on ne réclame plus justice, on l’exige. Et c’est tant mieux. Même si ce grand choc socioculturel met toutes les sensibilités à fleur de peau. Même si les remises en question qu’il implique génèrent désaccords, inconforts, résistances et crises existentielles ou structurelles.
Qu’il s’agisse de sexisme, de racisme ou de l’exercice des pouvoirs, les injustices sont si profondément ancrées dans les mentalités et les institutions que l’on ne peut imaginer de transformation que progressive. Au-delà des dénonciations et des procès publics dont se repait la bête médiatique, il est vital d’oser nommer les choses que l’on subit ou dont on est témoin – oppression, exclusion, maltraitance, abus… De reconnaître qu’elles existent, d’oser s’y opposer et de chercher comment les transmuter. Et ce, dans chaque situation de notre quotidien. Car le diable est bien souvent dans les détails. Ce travail exigeant, à la fois individuel et collectif, demande du courage, de l’ouverture à soi et à l’Autre, de l’humilité, de la bienveillance et de la confiance. Il ne saurait porter ses fruits s’il se fait dans la violence. Même si toute reconstruction doit passer par une forme de destruction. L’information, la formation, nous aideront à détricoter croyances, certitudes et réflexes pour rénover le concept de vivre-ensemble en adoptant de nouvelles manières de penser, d’être et de faire.
En processus depuis quelques années pour être toujours plus inclusif, le RQD participe au mouvement social en matière de racisme systémique et d’appropriation culturelle avec, entre autres, la mise en branle d’un comité de réflexion rassemblant plus de 20 personnes. Il collabore actuellement à l’élaboration d’une Politique contre le harcèlement comprenant une déclaration de tolérance zéro et s’interdit de recommander les services de quiconque est reconnu coupable de harcèlement et d’abus sexuels et, par mesure de précaution, de toute personne signalée par des victimes ne souhaitant pas porter plainte. Il propose également des formations pour favoriser un meilleur partage des pouvoirs dans les processus de création et une prise de conscience de ce qui fonde des relations de travail saines.
Les enjeux sont de taille et la tâche est immense pour répondre de manière adéquate à ces questions de société. Il appartient à chacun et chacune de s’ouvrir au changement et d’y contribuer en s’informant, en se rééduquant, si nécessaire, et en appliquant, à la mesure de ses capacités, le principe de tolérance zéro.
Fabienne Cabado
Directrice générale du Regroupement québécois de la danse