Artistes en résidences: un temps pour soi
Il existe de nombreux programmes et lieux de résidences accessibles aux artistes de la danse partout au Québec. Ils offrent aux interprètes et aux chorégraphes un moment privilégié de la création chorégraphique: du temps et de l’espace afin de s’adonner à la recherche, au questionnement d’une pratique, au développement ou à l’élaboration d’une œuvre à venir. Ces espaces existent grâce à ceux et celles qui les coordonnent, mais aussi grâce aux heureux qui écrivent leurs expériences entre ces murs.
S’inscrire dans la communauté
Au Théâtre Hector-Charland, diffuseur pluridisciplinaire situé à l’Assomption, cela fait une vingtaine d’années que la danse occupe une place de choix. Pour la petite histoire, la première résidence en danse reçue a été celle du chorégraphe québécois Jean-Pierre Perreault pour Les années de pèlerinage en 1996.
Le soutien à la création est donc une mission qui remonte à loin. «On veut se coller au mode créatif de l’artiste dès le départ pour mieux comprendre son univers et mieux l’accompagner si on souhaite diffuser son travail», explique Annie-Claude Coutu Geoffroy, coordonnatrice du volet danse de l’organisme.
Pour l’ancienne interprète, les résidences artistiques servent à bâtir une relation de proximité avec la communauté. Cela passe, entre autres, par des partenariats avec des lieux culturels grâce au réseau tentaculaire du Pôle de la danse. Il ne sera donc pas étonnant de voir des projets prendre place à différentes étapes de création au Centre d’art Diane-Dufresne de Repentigny ou au Musée d’art de Joliette, par exemple.
«Comme le développement des publics pour la danse demeure un enjeu important en région, les résidences nous permettent d’aller à la rencontre de nos publics autrement, précise Annie-Claude. Nous préparons le terrain pour les amener en salle par la suite et contribuons à développer leurs goûts et à affiner leurs connaissances de multiples univers artistiques.» C’est également une occasion pour les artistes de mieux comprendre les réalités régionales, selon elle.
Actuellement, les résidences durent environ une semaine, mais l’objectif, dans les prochaines années, serait d’avoir des résidences de plus longue durée, d’où la construction de la Maison Jacques-Parizeau qui est exclusivement un lieu d’hébergement à proximité de salles de répétition. «Les artistes vont demeurer plus longtemps sur le territoire, ils vont pouvoir s’installer dans la communauté et échanger avec les citoyens, c’est très important pour nous.»
Remplir un vide
Avec la création en 2018 de l’Annexe-A, la chorégraphe Audrée Juteau souhaitait remplir un vide dans sa région natale, l’Abitibi-Témiscamingue, qu’elle a retrouvé après des années à Montréal. «Je trouvais qu’il manquait des lieux de résidences pour la danse en dehors des grands centres urbains, dit-elle. Je trouvais excitant et inspirant de pouvoir y vivre avec un tel projet et y accueillir des artistes.»
C’est ainsi qu’elle s’est procuré un terrain dans la ville de Rouyn-Noranda, au bord de la Baie Caron, où elle a transformé un ancien garage en studio. «Un tel projet nécessite beaucoup de dévouement personnel et de don de soi pour voir le jour, car il n’y avait aucun financement public auquel je pouvais appliquer pour partir un lieu de résidence, raconte-t-elle. Un sociofinancement, l’aide manuelle de la famille ainsi que des dons d’organismes ont permis de construire ce lieu.»
À défaut d’avoir accès à d’autres lieux d’hébergements, les artistes sont accueillis directement chez la chorégraphe, ce qui crée des moments de convivialité, admet-elle, dans un monde sans pandémie. Après un an d’activités, l’organisme est éligible à des subventions pour soutenir son fonctionnement et son programme de résidences, mais l’octroi de ce financement reste très précaire et incertain selon Audrée Juteau.
Forte de son expérience comme interprète, Audrée Juteau parle en connaissance de cause lorsqu’elle souligne l’importance des résidences pour les créateurs et créatrices comme pour le milieu professionnel. «Elles permettent de sortir de son quotidien pour plonger dans la création différemment en plus d’aller à la rencontre d’autres publics, de communautés et de territoires», précise-t-elle. Pour la chorégraphe, il s’agit d’une expérience beaucoup plus profonde que celle plus éphémère de la tournée par exemple.
La naissance d’une compagnie
La gratitude fait frémir la voix du chorégraphe français Nicolas Zemmour lorsqu’il parle de son expérience de résidence au Centre des arts de la scène Jean-Besré (CASJB) qu’il a obtenu à la fin 2019, quelques mois après son arrivée en sol québécois. Cette résidence annuelle, initialement prévue pour 2020, a été rallongée d’une année supplémentaire en raison de la pandémie.
Il jouit entièrement du lieu, de ses différentes infrastructures, de ses studios de répétitions comme de production et d’une équipe qui l’accompagne dans la logistique, la production et la création de ses projets. «Ça a été un avantage humain pour moi, j’apprends à connaitre les Québécois, les us et coutumes d’ici, à me développer dans un monde québécois et canadien qui est complètement différent de l’Europe, confie Nicolas Zemmour. En plus, c’est pluridisciplinaire, donc je rencontre des artistes de tous horizons, c’est magique.»
En plus des créations qui sont sur la table, le chorégraphe et enseignant a profité de ce tremplin pour perfectionner les bases de sa compagnie ZemmourBallet, dans la région de l’Estrie. «Le type de résidence qu’offre le CASJB est fondamental pour lancer un artiste. Ça m’a vraiment permis d’implanter ma compagnie, parce que c’est en arpentant les couloirs qu’on fait des rencontres, qu’on apprend et pas en ayant des courts séjours ici et là.»
Celui qui se considère comme un habitant du CASJB ne désire plus partir et caresse l’idée d’être une compagnie permanente de l’organisme. «Sans le CASJB, je ne serais pas là, j’aurais eu beau avoir toute la volonté du monde, ça n’aurait pas été possible.»
Une conversation avec soi
C’est dans le charmant espace culturel Salon58, fondé par l’artiste Priscilla Guy à Marsoui en Gaspésie, que l’interprète Karla Étienne a vécu un moment d’arrêt pour lequel elle exprime une grande reconnaissance. Cette résidence libre a été l’occasion pour de l’introspection, de la recherche et une forme de réappropriation.
«J’y suis vraiment allée pour réfléchir à ma démarche artistique, sur ce que je fais comme interprète et comment retrouver ma voie, déclare Karla Étienne. Ça fait des années que je danse avec la compagnie Nyata Nyata. L’approche de Zab Maboungou m’est très chère et je l’honore. J’en ai profité pour repenser où je me trouvais dans tout cela.»
Le dépaysement a été marquant pour l’artiste qui, au sein de la nature grandiose, s’est ouverte «cœur et corps» à travers la course, la danse in situ et une présentation devant public sur Zoom. «Je dois souligner que la résidence au Salon58 se distingue parce qu’elle est rémunérée, donc non seulement les artistes ont le temps, l’espace, la quiétude, mais en plus une paix financière qui est très appréciable. Sans compter qu’on est logés et nourris. C’est littéralement un cadeau de la vie.»
Pour Karla Étienne, les résidences permettent de s’intéresser à des questions exacerbées par la pandémie comme le souhait de «casser le rythme néolibéral dans l’art», de cultiver un temps lent pour la création.
Les échanges avec le public, en dehors du canevas des représentations d’œuvres terminées, est aussi un enjeu important. «Le milieu compte beaucoup sur ces espaces pour relancer les dialogues et multiplier les occasions de rencontres. La présentation formelle de spectacles demeurera, il reste que les artistes ont peut-être aussi envie de miser sur la qualité de la rencontre, avance-t-elle. Les résidences sont peut-être une réponse à ça. Un moyen pour que les artistes continuent de penser qu’ils ont une voix. Un moyen pour que le public puisse cultiver un rapport intime à l’art.»
Autrice:
Rose Carine Henriquez
En complément
Consulter le Répertoire des lieux et programmes de résidence artistique du Regroupement québécois de la danse