Tout travail mérite salaire
par La lettre de Fabienne CabadoChaque arrivée du printemps coïncide avec le dépôt des budgets gouvernementaux et l’attente fébrile de savoir quelle part sera allouée à la culture. Disposerons-nous des moyens nécessaires à ce que la floraison des arts explose dans une luxuriance à la mesure de la diversité de nos talents, de nos ambitions et des besoins variés de la population? La question se pose plus spécifiquement au Québec où la seule disposition connue du gouvernement caquiste est le maintien des investissements prévus pour la mise en œuvre du plan d’action de la nouvelle Politique culturelle. De la potentielle réaffectation annoncée de ces fonds, on ne sait rien du tout et l’on s’inquiète de voir le budget de la culture stagner autour de 1% des dépenses de l’État alors que le mémoire économique dévoilé l’an dernier par la Coalition La culture, le cœur du Québec établit la nécessité d’un soutien à hauteur de 2%. Sans un tel financement, les ressources humaines du secteur continueront de s’épuiser et le développement des disciplines artistiques restera sévèrement compromis.
La danse demeure tout particulièrement affectée par le sous-financement. Le cheminement de carrière de ses professionnels est plus laborieux que celui d’artistes et de travailleurs culturels d’autres disciplines et les œuvres dites pour grand plateau sont encore trop rares. La plupart des compagnies n’ont pas les moyens de répondre aux exigences de leur développement, le nombre de grandes compagnies diminue et les plus petits organismes peinent tellement que certains jeunes chorégraphes choisissent de ne pas créer de structure. Dans ce contexte de paupérisation d’un milieu historiquement précaire, une masse phénoménale de travail est abattue par des centaines d’individus sans qu’aucune rémunération ne vienne le récompenser. Lot quotidien de la plupart des travailleurs autonomes, le fléau du travail invisible frappe aussi les salariés des organismes artistiques et culturels en danse. Par exemple, bon nombre de membres de conseils d’administration comblent le déficit en ressources humaines de bien des compagnies et bon nombre de salariés trouvent naturel d’effectuer du temps supplémentaire sans aucune compensation.
À quel moment la générosité, noble valeur dont les arts ont besoin, devient-elle sacrificielle, néfaste pour la santé? Et pour quelle raison juste et objective une société fait-elle porter le poids de la création d’une richesse – en l’occurrence, les arts –à ceux et celles qui la produisent? Il est temps de déboulonner la croyance que le plaisir qu’on tire à exercer un métier justifierait le fait d’être moins bien ou pas du tout payés. Il est temps de déboulonner la croyance que l’art est un luxe dans une société. Alors que les conseils des arts poussent au ralliement sous l’étendard de l’équité et de l’inclusion, il est temps que nos gouvernements cessent de considérer les arts et la culture comme un secteur à part et mettent en œuvre des mesures adaptées à ses spécificités permettant à toutes les composantes de son écologie de prospérer. Ce qui est loin d’être le cas.
La pénurie de main-d’œuvre dont souffre aujourd’hui le Québec est encore plus patente dans le secteur de la danse. Les salaires proposés sont généralement si bas et on demande une telle polyvalence qu’on a du mal à attirer et à retenir les travailleurs culturels. Il est fréquent qu’un travailleur culturel forge ses compétences dans une équipe en danse et s’envole aussitôt vers des secteurs artistiques capables d’offrir de meilleures conditions de travail. Pour dessiner un portrait clair et détaillé de la rémunération des travailleurs culturels au sein des organismes artistiques et culturels québécois, une quarantaine de directions générales, artistiques et administratives ont élaboré le projet d’une étude.
Lancée ce mardi 12 mars, cette enquête vise principalement les arts de la scène et sera réalisée d’ici la fin avril. Chaque organisme participant recevra alors un rapport exposant les données sectorielles recueillies et aura la possibilité de commander à faible coût un rapport personnalisé sur son positionnement sur le marché en termes de salaires et avantages sociaux. Ces informations-clés faciliteront le développement de stratégies organisationnelles adaptées aux besoins de chaque organisme et viendront soutenir le travail de représentation du Regroupement québécois de la danse et de ses homologues. Plus vous serez nombreux à participer à cette étude, plus elle sera crédible, plus forts seront les arguments pour l’amélioration des conditions socioéconomiques dans le secteur des arts.
Fabienne Cabado
Directrice générale du Regroupement québécois de la danse