La Politique culturelle du Québec sous la loupe du RQD
Attendus depuis de très longs mois, la nouvelle Politique culturelle du Québec et son plan d’action ont été dévoilés au matin du 12 juin. De grands et beaux principes sont énoncés pour l’avenir des arts et de la culture avec un investissement historique évalué à 600 M$ sur cinq ans. De la façon dont seront ventilés les crédits accolés à certaines des 41 mesures que comprend le plan d’action de la Politique Partout, la culture, on ne sait pas grand-chose. De l’attribution effective de la totalité de ces crédits dans les cinq prochaines années et de la pérennité à plus long terme de ces investissements, on n’a aucune garantie. Plusieurs éléments du plan d’action ouvrent cependant des perspectives intéressantes pour les artistes et les travailleurs culturels du Québec. Analyse préliminaire par le prisme des intérêts plus spécifiques des professionnels que représente le Regroupement québécois de la danse (RQD).
Création et diffusion
Au chapitre du soutien à la création, l'investissement progressif de 66 M$ dans le budget du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) jusqu'à 2023 s’accompagne, entre autres, d’une volonté de hausser le montant des bourses, des subventions et le nombre d’artistes soutenus, et d’appuyer les nouvelles pratiques artistiques, hybrides ou numériques. On parle aussi d’un meilleur soutien général à la diffusion et au développement de marchés internationaux avec le renforcement des aides à la mobilité des artistes, à la tournée et à l’exportation, la dotation d’une enveloppe d’aide à la coproduction internationale et de multiples efforts pour augmenter le rayonnement des créateurs québécois avec, entre autres, la création d’un fonds interministériel pour une plus grande visibilité collective à l’étranger. Le ministère de la Culture et des Communications (MCC) ratisse bien large pour cette succession de bonnes nouvelles et l’on est bien impatient de voir comment le CALQ va attribuer ces nouveaux fonds.
Carrières et formation professionnelle
Reconnue haut et fort par le premier ministre, la précarité des artistes et des travailleurs culturels fait l’objet d’une mesure dans le plan d’action. Outre la révision des lois sur le statut l’artiste, le MCC s’attaque au harcèlement et à l’accompagnement des artistes en transition de carrière. Il prévoit également d’améliorer la connaissance des conditions socioéconomiques des acteurs des arts et de la culture (malgré l’abondance d’études documentant déjà le sujet) et se propose d’examiner les moyens de parfaire l’accès à un régime de retraite, à des assurances collectives et à des mesures fiscales mieux adaptées à la réalité de cette frange de la population. Pas d’engagement concret, donc, sur ce plan et pas de grands espoirs étant donné les 5 M$ prévus pour tout cela (et plus) sur cinq ans. D’autant que près d’un million est déjà engagé pour contrer le harcèlement. La somme semble ainsi bien insuffisante pour répondre aux besoins du secteur culturel qui, parallèlement, attend toujours qu’on lui donne un siège à la Commission des partenaires du marché du travail pour avoir enfin voix au chapitre quand se décident les orientations nationales en matière d’emploi.
Visant par ailleurs un continuum cohérent de formation professionnelle et de perfectionnement, le plan d’action ignore totalement le cas de la danse où les premiers apprentissages ne sont toujours pas encadrés par des règles communes et dont certaines professions d’importance ne bénéficient encore d’aucun programme de formation. Sans compter le contexte particulier des danses urbaines dont les apprentissages se font dans l’oralité d’une transmission par des mentors, hors structures. Le gros travail restant à faire en danse pour la filière de formation dépend avant tout d’une volonté politique qui n’est pas affichée clairement.
Culture, éducation et société
Soulignant l’importance de la fréquentation et de la pratique précoce des arts, le MCC propose un investissement de 30,5 M$ pour une nouvelle alliance culture-éducation-famille. Sensibilisation et recherche sont notamment au menu, de même que l’initiation des élèves à des disciplines absentes des programmes, comme le cinéma. Espérons que l’enrichissement prévu de la formation donnée aux enseignants pour une meilleure intégration de la culture à l’école aura pour effet de valoriser les nombreux bienfaits de la danse et d’accroître sa présence dans les établissements scolaires.
On peut se réjouir que 35 M$ soient aussi accordés à l’amélioration de l’offre de sorties et d’activités culturelles dans les parcours éducatifs jusqu’à l’université. L’investissement semble cependant non récurrent et le budget des commissions scolaires devra impérativement être augmenté si l’on veut s’assurer que tous les enfants continuent de profiter de sorties au spectacle dont l’école doit désormais assumer la pleine charge financière. On reste encore bien loin de l’intégration des quatre arts dans les cursus scolaires avec sorties obligatoires.
Près de 18 M$ devraient par ailleurs permettre la promotion des loisirs culturels et favoriser une participation culturelle élargie et inclusive. Dans une perspective d’intervention sociale, les publics plus particulièrement visés sont les personnes âgées, handicapées, issues de l’immigration ou défavorisées. La danse pourrait trouver là un beau ballon d’oxygène pour bien des activités de médiation culturelle. Et s’il reste difficile d’interpréter la volonté du MCC de créer des mécanismes de reconnaissance de l’engagement citoyen bénévole en culture, on peut toujours rêver que celui des artistes et des travailleurs culturels, qui donnent tant pour la discipline, soit validé d’une manière ou d’une autre.
Inclusion et équité
Soutenir l’intégration des jeunes Autochtones dans les milieux artistiques compte parmi les mesures du plan d’action de Partout la culture, de même que l’accompagnement des immigrants. On prévoit également d’analyser des facteurs et situations d’exclusion dans les différents métiers de la culture ainsi que les pratiques inclusives les plus porteuses. On entend bien sûr améliorer l’accès de tout un chacun à tous les services, programmes, emplois, réseaux et structures décisionnelles. Outre les personnes issues de la diversité ou vivant avec un handicap, on inclut ici très judicieusement la relève.
Patrimoine
Tout en mettant l’accent sur le patrimoine bâti ou à caractère religieux, le MCC englobe le patrimoine immatériel dans son désir d’améliorer le soutien à la connaissance, à la protection, à la mise en valeur et à la transmission de l’héritage culturel québécois. Là, seules les pratiques culturelles traditionnelles québécoises et autochtones sont visées avec une aide apportée à la formation et à la planification de nouvelles «désignations», reconnaissances symboliques de la valeur patrimoniale de pratiques comme la veillée de danse traditionnelle ou les chants de gorge inuits. Rien donc, pour ce qui concerne le patrimoine de la danse créée au Québec depuis le 20e siècle.
Entrepreneuriat culturel et numérique
La Politique culturelle réaffirme l’apport du secteur culturel à l’économie et au développement du Québec; son plan d’action vise à l’accroître en misant sur l’entrepreneuriat culturel et l’originalité des modèles organisationnels. En dehors du soutien au développement de marchés internationaux mentionné plus haut et dont devraient profiter les membres du RQD, on se concentre ici sur les entreprises et industries culturelles sans tenir compte de la créativité entrepreneuriale qui caractérise bien des OBNL en danse de recherche-création. Espérons que le CALQ saura développer une plus grande souplesse pour mieux accueillir leur capacité d’innovation organisationnelle et mieux accompagner les organismes aux structures atypiques.
«L’avenir sera numérique», a-t-on clamé au dévoilement de la Politique, soulignant que 168 M$ seraient dédiés à le construire. La bonification du Plan culturel numérique devrait ainsi permettre d’accroître les contenus culturels et patrimoniaux sur le Web, d’œuvrer à leur découvrabilité et d’appuyer la médiation culturelle et la participation citoyenne grâce aux outils et pratiques numériques. Le plan d’action de Partout, la culture, prévoit aussi l’accompagnement du secteur culturel dans son appropriation du numérique et parle de mutualisation des données, des connaissances et des ressources. 15 M$ sur cinq ans sont prévus pour couvrir l’immensité des besoins et l’abondance de projets.
Culture et territoire
En cohérence avec le titre de la nouvelle Politique culturelle, le MCC propose des mesures pour exalter la puissance de l’action locale et régionale. Plus de 24 M$ des 30 M$ consacrés au renforcement du rôle culturel de Québec viendront appuyer l’essor de ses grandes institutions culturelles. Souhaitons que la bonification du soutien financier à la Société du Grand Théâtre de Québec ait pour effet de favoriser une belle programmation en danse. À Montréal, plus de 38 M$ iront aux musées et grands orchestres tandis qu’un million visera le positionnement de la métropole comme chef de ville de la créativité numérique.
Les divers services gouvernementaux offerts en région chercheront par ailleurs une meilleure synergie et coordination pour des interventions plus adaptées aux réalités locales. Et 28 M$ serviront notamment à bonifier le budget pour la conclusion d’ententes territoriales avec le CALQ et à dynamiser les politiques culturelles municipales. On ignore encore quels impacts cela pourrait avoir sur les divers pôles et foyers de danse au Québec.
En conclusion
Comme le titrait le communiqué de la Coalition La culture, le cœur du Québec, le plan d’action de la seconde Politique culturelle du Québec est ambitieux, mais son avenir reste incertain. Et si le gouvernement libéral semble reconnaître le secteur culturel comme un levier de développement économique à renforcer, la cause des arts, et tout particulièrement celle des arts contemporains, reste à défendre avec vigueur.
Fabienne Cabado
Directrice générale du Regroupement québécois de la danse