Personne ne sort gagnant de la disparition de La La La Human Steps
Mercredi en conférence de presse, c’est avec dignité et émotion qu’Édouard Lock, chorégraphe et directeur artistique de La La La Human Steps, annonçait la cessation complète des activités de sa compagnie. Le Regroupement québécois de la danse salue bien bas ce créateur d’envergure qui, en 35 années sous le sceau de La La La Human Steps (LHS), a livré au public du Québec et du monde entier, de la danse de très haut niveau, entouré d’artistes et de concepteurs exceptionnels. À en juger par la couverture de presse nationale et les hommages rendus — dont vous trouverez quelques exemples en fin de texte —, la triste nouvelle a confirmé le statut unique et irremplaçable de ce grand créateur dans le paysage artistique québécois et canadien.
Le manque d’argent n’émeut plus personne
En conférence de presse, les journalistes ont demandé à Édouard Lock d’expliquer les raisons ayant motivé sa décision. Les réponses du chorégraphe ont brillamment mis en lumière la part élevée de risques inhérents à la pratique de la danse, des risques que l’envergure des projets ne fait qu’amplifier, particulièrement dans un contexte de longues tournées internationales. Les subventions que les conseils des arts étaient prêts à consentir à LHS pour l’année 2015 ne permettaient pas à la compagnie de s’engager dans un nouveau cycle de production et de diffusion, dont on sait qu’il peut étaler sur deux à trois ans. On peut quand même se demander si, sans le contexte actuel de rationalisation sévère des dépenses publiques, il aurait pu en être autrement.
Au milieu des coupes déferlantes qui affectent les milieux de l’éducation et de la santé, pour ne nommer qu’eux, il est presque gênant de revendiquer une meilleure part pour la danse. À la question d’un journaliste à savoir si les gouvernements font assez pour la danse, la réponse du chorégraphe a été simple et sans équivoque : « Non ». Il a entre autres donné l’exemple des maigres cachets et salaires versés aux danseurs qu’il trouve nettement insuffisants au Québec, en regard des exigences auxquelles ils doivent se conformer, de la courte durée de leur carrière et de l’absence de filet social. Il y aurait tant à dire sur les conditions dans lesquelles la danse de recherche et de création s’exerce, tant à dire sur les exigences particulières de la création chorégraphique. Et malgré le fait que le Plan directeur de la danse professionnelle ait documenté de manière très précise la situation et les moyens de l’améliorer, les pouvoirs publics ne semblent pas convaincus de l’urgence de s’attaquer au problème. On a beau penser que c’est une vieille rengaine, elle n’en demeure pas moins actuelle.
Le contexte d’austérité et les coupes qui se multiplient nous font dangereusement approcher d’un point de bascule où les projets sans apparence de rentabilité économique à court terme risquent de disparaître. Comme La La La Human Steps. Aujourd’hui, Édouard Lock se trouve privé des moyens de poursuivre son œuvre au Québec comme il l’entend, c’est-à-dire en repoussant les codes et les limites de la discipline. Aujourd’hui, la danse québécoise et les publics d’ici et d’ailleurs perdent l’une des rares compagnies de danse capables de créer pour de grands plateaux et de rayonner sur les grandes scènes du monde. Quels seront les impacts réels de cette décision sur les interprètes, les collaborateurs artistiques, les producteurs, les diffuseurs et au final, les spectateurs?
Non, personne ne sort gagnant de la disparition de La La La Human Steps. Et il est illusoire de croire que la place laissée vacante par un tel créateur cumulant plus de 40 ans de carrière puisse être comblée.
Une conséquence directe des dernières coupes au CALQ
En terminant, on ne peut passer sous silence que la subvention que le Conseil des arts et des lettres du Québec réservait pour LHS pour 2015-2016 — et qui ne sera pas utilisée en raison de sa fermeture — ne reviendra pas dans l’enveloppe destinée à la danse. Vous avez bien lu. Cet argent ne sera pas redistribué à d’autres organismes ou artistes en danse, diminuant ainsi les budgets de création et de production en danse. C’est là un des effets directs des coupes de 2,5 $ millions au CALQ annoncées au début de l’été. Non, personne ne sort gagnant de la disparition de La La La Human Steps. Individuellement et collectivement.
Fil de presse
L'art de survivre [La Presse]
Y laisser sa chemise [Le Devoir]
La La La Human Stepds shuts down [Dance Magazine]
La La La Human Steps cesse ses activités [La Presse]
La fin d’une aventure fulgurante [Le Devoir]
«La La La Human Steps n’est plus» [Le Devoir]
La danse contemporaine perd LA LA LA Human Steps [Vidéo – Radio-Canada]
La fin d'une époque [DFDanse]
La La La Human Steps – Des ennuis financiers ont coulé la compagnie [Le Journal de Montréal]
La La La Human Steps dance company closes its doors [CBC]
La La La Human Steps is no more, Édouard Lock announces [The Gazette]
'Outsized memories' of La La La Human Steps. Concordia dance chair Silvy Panet-Raymond celebrates 35 years of lightning-quick reflexes and daredevil leaps. [Concordia University]
Lettre à Édouard Lock de Julie Morin [École de danse Florence Fourcaudot]