Le toucher, un outil précieux en danse
par Karine RathleDanseurs, danseuses, chorégraphes et enseignant.e.s peuvent bénéficier de l’utilisation du toucher dans leurs pratiques: il ajoute de la clarté aux indications verbales. Il donne beaucoup d’informations au danseur ou à la danseuse qui le reçoit ainsi qu’à la personne qui l’exécute. J’aime penser à un «dialogue» qui s’installe entre deux corps. Lorsqu’on touche l’autre, on reçoit à travers des récepteurs des mains de nombreuses informations, qui vont aider à améliorer la qualité du toucher et le rendre plus efficace pour l’interprète avec qui on travaille. Il faut savoir que chaque corps porte sa propre histoire et c’est à travers cette histoire que notre toucher rencontre l’autre.
Informer par le toucher
Le feedback tactile peut affiner la proprioception et ainsi améliorer le contrôle moteur et la posture[1]. La proprioception est le sens qui nous permet de ressentir la position de notre corps et de nos mouvements dans l’espace et d’avoir de l’équilibre et de la coordination[2].
Différentes qualités de toucher sont liées aux différents systèmes que l’on veut faire réagir. Les mains qui touchent peuvent être guidées par une question: quel toucher serait utile pour amener l’interprète à une sensation globale? Par exemple, aller toucher la peau par effleurement va venir éveiller les sens et affecter le système nerveux. On peut aussi penser à la qualité du toucher lorsque l’on veut atteindre la structure musculosqueletique. La qualité du toucher sera donc différente suivant le résultat escompté sur la peau, les fascias, les muscles ou les os.
Pour vous assurer de l’efficacité et de l’impact de votre toucher sur les interprètes avec qui vous travaillez, vous pouvez vous poser ces questions:
- Quelle est votre intention?
- Où portez-vous votre attention lors du toucher?
- Quelle.s information.s donnez-vous avec ce geste?
Un outil qu’il faut savoir utiliser
Même s’il s’agit d’un outil précieux en danse, il faut d’abord en comprendre l’impact.
Exactement de la même façon que nos mots peuvent avoir un impact positif ou négatif sur l’autre, le toucher peut aussi bien aider qu’être nuisible pour l’autre. Il peut autant favoriser un relâchement musculaire et réduire des tensions que les augmenter, sans que ce soit notre intention première. L’important et de le ressentir dans nos mains en vue d’une adaptation rapide et adéquate.
Nous avons probablement tous en mémoire une situation de toucher désagréable de la part d’un.e enseignant.e comme nous pouvons aussi nous rappeler du toucher qui nous a fait enfin comprendre comment générer un mouvement qui nous était difficile jusque là. L’impact d’un toucher peut s’étendre sur le long terme.
Apporter des informations constructives plutôt que corriger
Il est important de différencier un toucher correctif et un toucher constructif.
Lorsqu’il.elle utilise des corrections, l’enseignant.e se concentre sur ce que le danseur ou la danseuse fait «mal». Par exemple, en disant: «Ne lève pas les épaules», cela attirera l’attention sur le fait qu’il ou elle lève les épaules. Les mots ramènent la conscience neuromusculaire de l’élève à une action qui n’est pas souhaitée dans le mouvement exécuté. En revanche, les enseignants qui utilisent des informations constructives attirent l’attention sur ce que le corps pourrait faire à la place. «Laissez glissez les omoplates vers le bas», «trouvez un espace entre vos épaules et le lobe de l’oreille» et «laissez les omoplates se dilater comme des ailes» sont des indications qui peuvent créer de nouveaux motifs neuromusculaires et devraient aider le danseur ou la danseuse à créer le mouvement désiré.
Le langage verbal et le toucher fonctionnent de la même manière. Si on désire que le danseur relâche au niveau des épaules, le toucher devrait aller chercher l’effet voulu à travers des chaines musculaires qui aideront à créer le mouvement désiré. Il s’agit donc d’éliminer le jugement dans notre feedback et plutôt de donner une information constructive. Le commentaire, autant verbal que tactile, est une façon d’amener l’interprète vers une esthétique d’un genre désiré, ce n’est pas ce qui est bon ou mal, mais plutôt ce qui est désiré à un moment donné. Il est toujours utile de penser à l’anatomie et la bioméchanique lorsqu’on utilise le toucher. Comment est-ce que le corps bouge? Comment est-ce que je peux guider ce mouvement à travers une conscientisation de la proprioception?
Pour être efficace, le feedback doit constituer une information complémentaire pour les interprètes en danse, en leur fournissant des outils permettant de sentir et comprendre ce qu’ils et elles peuvent faire pour s’améliorer. Nous voulons nous détourner de ce qui est «faux» pour aller vers ce qui peut être réalisé.
Références complémentaires
Quin, E., Rafferty, S. & Tomlinson, C., 2015, Safe Dance Practice. Champaign, IL: Human Kinetics.
Taylor, J. & Estanol, E., 2015, Dance psychology for artistic and performance excellence. Champaign, IL: Human Kinetics.
Interprète, enseignante, chorégraphe et chercheure en danse et en science de la danse, Karine Rathle possède une grande connaissance dans le domaine de la somatique. Elle a donné plusieurs formations à des professeurs sur le feedback tactile et verbal, l’anatomie et la prévention de blessures et également la formation Maîtriser l’art du toucher en danse avec le RQD en mai 2019. Elle est aujourd’hui présidente du Healthy Dancers Canada, un organisme pancanadien qui promeut la santé et la performance des interprètes en danse.